mardi 15 mars 2016

VOTER POUR SERIGNE TOUBA [Par A. Aziz Mbacké Majalis]

La meilleure manière, pour nous les mourides, d'exprimer notre refus de la manipulation de nos valeurs religieuses, pour de sombres intérêts personnels, politiques et financiers, n'ayant rien à voir avec le patrimoine et les enseignements de Serigne Touba, est très simple.
Il ne s'agira pas, comme beaucoup d'entre nous le font actuellement, de s'affliger outre mesure sur les tentatives de faux « Ndigël voilés », à travers des éléments proches du Khalife, insidieusement relayés par une presse aux ordres. L'on connaît, en effet, la chanson. Il ne s'agit encore moins de s'épancher paresseusement sur certaines accointances politico-religieuses douteuses bien connue. Ou sur la puissance de récupération du pouvoir actuel (n'ayant apparemment rien à envier sur ce plan, malgré sa réthorique sur la République, aux précédents) sur les « mare-à-boue » corruptibles. Ces brebis galeuses, évoluant au cœur du système mouride et à propos desquels nous avertissions déjà nos condisciples, il y a juste quelque jours, en pressentant le coup, qu'ils « seraient prêts à vendre la mosquée de Touba, Daaray Kaamil et Aynou Rahmati aux enchères pour leurs propres intérêts. » En aidant notamment le régime à noyauter et à délégitimer la récente et exceptionnelle dynamique de rejet de la nouvelle constitution exprimée par l'ensemble des « forces vives » du Mouridisme.
S'en affliger passivement, dans les commentaires Facebook, les discussions de salon et les dahiras, ne servirait pas à grand chose. Pour faire activement face à ces récurrentes opérations de dévoiement de nos symboles, il nous suffira simplement, dans le contexte actuel, d'exprimer notre cinglant désaveu dans les urnes dimanche prochain. En sanctionnant durement les manipulations politiciennes de nos symboles par un NON massif. Car, il faut le savoir, leurs auteurs ne reculeront devant rien, absolument rien, et ne peuvent comprendre que le langage des rapports de force politiques et les incidences électorales négatives de leurs actes dans l'exercice et la conservation de leur pouvoir. Rien d'autre.
Pour barrer la route à ce genre de manipulations, nous aurons également plus que jamais besoin, dans l'avenir, et nous le proclamons depuis des années, de mieux réorganiser certaines méthodes de fonctionnement de nos centres de décision confrériques. Pour mieux aider nos leaders intègres, mais pas toujours suffisamment informés, à disposer en temps réel de la meilleure information sur les questions d'actualités (par l'implication d'une expertise interne éclairée, la mise en place de « majlisul shûra » inclusifs etc.). Nous devrons également développer d'avantage ce que j'appelle la « nouvelle conscience mouride » chez de plus en plus de nos condisciples. Pour les former, les sensibiliser à ces phénomènes et les aider à ne plus tomber dans les pièges des politiques, qui n'hésiteront jamais, pour leurs propres intérêts, à piétiner cyniquement et à dévaloriser nos symboles les plus sacrés.
Il nous faudra donc faire face.
De la même manière que nous avions déjà désavoué, dans le passé, d'autres personnages ayant prétendu usurper l'importante prérogative du Ndigël pour leurs intérêts crypto personnels. En 2012, par exemple, lorsqu'il fallut mettre à terre et sanctionner durement ceux qui prétendirent réélire l'ancien président, à travers les « Ndigël de la discorde » donnés au nom du Saint Serigne Saliou (l'on connaît la suite). En 2000 également, lorsque nous avions humilié d'autres dignitaires affirmant avoir reçu (par rêve) des révélations oniriques (sonnantes et trébuchantes ?) de Serigne Touba pour réélire le président Diouf. Et bien d'autres Tartuffes voulant se sucrer sur le dos du Mouridisme et de la crédulité de certains talibés.
Comment ainsi comprendre qu'aujourd'hui des dignitaires officiels du Mouridisme tiennent le même discours mielleux et lénifiant à l'actuel président (sur ses prétendues réalisations à Touba, qui lui auraient soi-disant assuré « l'Agrément de Serigne Touba » et, sous-entendu, de la prochaine victoire du Oui) que celui qu'ils avaient exactement tenu dans le passé pour assurer l'ancien président Wade que son appartenance au Mouridisme et ses réalisations « inégalées » lui garantiraient les mêmes succès (alors qu'il fut renversé, sans la « bénédiction » supposée de ses anciens souteneurs religieux ayant pourtant largement bénéficié de ses largesses) ? Ou est, dans tout cela, le sens de la fidélité et toutes ces valeurs de dignité incarnées par Cheikh A. Bamba ? Serions-nous finalement, nous les dignitaires religieux, de simples girouettes politiques nous orientant toujours dans le sens du vent de nos intérêts individuels et partisans ?
En listant, auprès du Khalife, les réalisations et projets du président Macky, n'auraient-ils pas du également intégrer dans ce bilan son premier wax-waxeet consistant à son refus de respecter son engagement, pourtant solennel, d'accorder un statut spécial à la ville sainte de Touba dans le cadre de la décentralisation ? Et son entêtement à conserver un garde des sceaux notoirement connu pour être favorable à la cause homosexuelle, les libérations récurrentes de prévenus gays par son appareil judiciaire et la répression sauvage des militants anti-gays de Colobane (malgré sa supposée résistance sur cette question), feraient-ils partie de ce bilan dont Serigne Touba serait censé se « réjouir » ? Son honteux et récent reniement à tenir son engagement de réduire son mandat, fut-il sous de grossiers artifices juridiques, est-il éthiquement moins important que la construction d'égouts ou de routes à Touba ? Les routes de goudron et de latérite seraient-elles finalement plus importantes pour ces religieux que les autoroutes de la morale et de l'honneur menant à la Félicité (Ilâ Touba) léguées par le Cheikh ? Ces dignitaires mourides ne devraient-ils pas plutôt s'interroger sur les véritables causes de l'INTENTION avortée du président de rendre intangible une forme de laïcité qui empêche encore que Cheikh A. Bamba, dont ils prétendent pourtant protéger l'héritage, soit enseigné dans nos écoles et qui, réinterprétée dans l'avenir, à travers des « nouveaux droits » flous, pourrait éventuellement ouvrir la voie à toutes les dérives morales que des bailleurs du PSE souhaiteraient subrepticement inoculer dans notre fabrique sociétale et culturelle ? Un Ndigël, même « voilé », ne devrait-il point intégrer toutes ces valeurs pour lesquelles Serigne Touba s'est battu pendant plus de 33 ans de sa vie, des valeurs qui leur ont accordé le respect dont jouissent leurs auteurs et sans lesquelles la fonction religieuse sera vidée de toute substance.
Pour en venir véritablement au problème de fond de ce référendum pour lequel un Ndigël est si activement sollicité, il conviendrait, surtout pour les acteurs religieux, de réaliser son inanité, au vu des considérations suivantes. Car, contrairement à l'idée que les partisans du régime entendent habilement imposer sur les prétendues « avancées de la nouvelle Constitution », le problème du Sénégal n'est pas fondamentalement un problème de textes. Il ne l'a jamais été. Notre problème n'a jamais été un problème de THÉORIE politique. Le problème le plus grave de notre pays a toujours été un problème de PRATIQUE politique. Il a toujours été celui du comportement ÉTHIQUE de notre classe politique.
Dans ce pays, l'on peut voter les textes les plus extraordinaires et les plus avant-gardistes qui soient. On peut imaginer les dispositions réglementaires, juridiques, économiques, tout ce que l'on veut, les plus révolutionnaires du monde. Mais l'histoire et les récentes expériences ont invariablement montré que les hommes politiques ont toujours su, à chaque fois que leurs intérêts étaient en jeu, contourner ces règles qu'ils avaient eux-mêmes édictées. Ceci, soit à travers les subterfuges ou interprétations juridiques les plus farfelues ou tirées par les cheveux, qui insultent l'intelligence du peuple. Soit par des attitudes déloyales et des forcings évidents contre lesquels les citoyens révoltés n'ont aucun véritable recours. L'appareil d'Etat et ses contrepouvoirs démocratiques (système judiciaire, presse, partis politiques etc.) étant souvent inféodés ou ne jouant pas réellement leur rôle citoyen.
À quoi ont vraiment servi, pour prendre juste quelques exemples, à la nation et aux femmes sénégalaises la loi sur la parité, votée depuis plusieurs années, qui leur fut tant chantée et présentée comme la SOLUTION à tous leurs problèmes ? À part une insignifiante « gynégarchie » de politiciennes et d'activistes féministes, ayant su personnellement profiter de cette disposition législative, quel apport celle-ci a-t-elle générée pour la cultivatrice du Fouladou, les mères qui accouchent encore sur des charrettes au fin fond du Boundou, à la brave vendeuse de poisson ou gerté thiaaf à Kayar ? N'a-t-on pas récemment voté d'autres lois sur l'interdiction du tabac dans les lieux publics ou de la mendicité des enfants ? À quoi ont servi les révolutionnaires dispositions sur la reddition des comptes, à la base de la CREI, lorsqu'il s'est agi, pour l'actuel président, d'incorporer dans son camp politique des personnalités pourtant officiellement ciblées par cette juridiction ? La Constitution du Sénégal, les textes de la CREI, l'ont-ils empêché de sortir, par on ne sait encore quel artifice magique, Ousmane Ngom ou une Awa Ndiaye des griffes de la loi ?
C'est cela le plus grave dans notre pays. La PRATIQUE politique et les INTÉRÊTS partisans prennent absolument le pas sur tout le reste : la souffrance des masses populaires, les valeurs morales, l'intérêt supérieur de la nation, l'usage vertueux de nos maigres deniers publics, l'avenir de nos enfants. Tout. Absolument tout. La nation, la religion, et je ne sais quoi encore. Et c'est cette mauvaise pratique politique qu'est en train d'entériner, malheureusement, les actes et dérives du président de la République : reniements de la parole donnée, encouragement pour la transhumance, manipulations judiciaires etc. À quoi bon nous servira la greffe de 15 nouveaux bouts de textes au corps constitutionnel, si les médecins appelés à prendre soin de ce corps font délibérément fi des « bonnes pratiques » ? Tant que le peuple sénégalais ne réussira pas à se sortir de cette situation qui n'arrange en réalité qu'une infime classe de politiciens et de thuriféraires, au détriment des masses laborieuses, l'on peut voter toutes les constitutions du monde que l'on veut. Ca ne nous avancera pas à grand chose. Et notre pays risquera, encore pour longtemps, de figurer dans le peloton de queue des nations les moins avancées.
Pour moi donc, les choses sont extrêmement claires. La conformité au Ndigël, hérité du « Amr » coranique (ordre émanant de l'autorité), est l'une des valeurs cardinales les plus importantes du Mouridisme. Une valeur à perpétuer et à préserver absolument, car gage d'unité, de force et de progrès organisé. A la seule condition toutefois d'être exercé dans les conditions et limites clairement définies par le Seigneur et rappelées par Serigne Touba. Notamment sur les qualités de son auteur, la pureté de son intention, la nécessité de consultation (shûra) préalable avec toutes les parties concernées etc. Conditions en dehors desquelles, cette valeur, comme toutes les valeurs, peut être dévoyée, utilisée contre son propre système d'origine et finalement desservir celui-ci. Notre force pouvant alors devenir notre faiblesse.
Dans le cas d'espèce, si c'était le Khalife des mourides en personne, Cheikh Sidy Moukhtar (puisse le Seigneur lui accorder une longue vie pour le bien de l'Islam), qui avait lui-même pris l'initiative de se prononcer sans ambages sur la question du référendum, je serais certainement l'un des premiers à me conformer à sa directive. Ceci, quelle que soient mes idées ou penchants personnels. C'aurait été également d'autres dignes représentants de Cheikhoul Khadim, connus pour leur piété, leur clairvoyance et leur intégrité sans faille, mais pas pour leurs accointances douteuses, qui se seraient prononcé sur des questions qui engagent la préservation du précieux patrimoine que nous avons en partage, nous en aurions vivement tenu compte dans nos démarches et positionnements. Car, pour nous mourides, le sens de notre engagement et le pacte d'allégeance que nous avons librement contracté avec Serigne Touba sont supérieurs à toute considération, politique, intellectuelle ou autre. A l'instar du fameux et important principe inculqué à toute nouvelle recrue de l'armée : « Les Ordres (Ndigël) se doivent d'être exécutés sans murmure ni hésitation », notre devise restera pour toujours « Mouride : Ndigël ! ». Et les prétendues « libertés » de la mondialisation et ses antivaleurs, qui remettent en cause tout sens de l'autorité spirituelle, ne sauraient nous égarer ou nous dévier de cette voie qui a jusqu'ici assuré notre unité et notre force. Mais cette valeur, aussi centrale et aussi importante soit-elle, ne saurait être préservée sans un minimum de clairvoyance sur certains processus de récupération actuels et sans le courage de dénoncer ces derniers. Quelqu'en soit le prix. Cela étant la moindre des choses que nous devons à Boroom Touba.
Nous, les disciples de Serigne Touba, ne seront donc jamais les otages d'un quelconque lobby. Nous ne serons jamais non plus des moutons spirituels ou de la chair à canon politique. Notre engagement n'a qu'une seule et unique finalité : SERIGNE TOUBA. Lui que nous considérons comme notre Voie de salut et la Porte royale pour accéder à Dieu et à Son Prophète. Cet engagement, que nous voulons sans faille, valorisera et élèvera tout ce et tous ceux qui valoriseront et élèveront à leur tour cet idéal et nous aideront à l'atteindre. Mais qui saura, à chaque fois, se départir de ce et de tous ceux qui tenteront d'en user pour autre chose en dehors de Dieu et de Son Prophète. Serigne Touba est le Pôle Nord vers lequel la boussole de tout mouride s'oriente au milieu de l'obscurité du Temps et de la tempête du monde.
Cette position, que nous partageons avec de plus en plus de mourides contemporains, jeunes et vieux, instruits et moins instruits, constituera, dans l'avenir, le principal contre-pouvoir et le garde-fou le plus efficace contre ceux qui n'hésiteront jamais à dénaturer notre patrimoine commun. Une posture que nous avons tentée d'expliciter dans notre essai KHIDMA, en ces termes que l'actualité passée et récente semblent de plus en plus confirmer :
« Ce que beaucoup d'auteurs semblent ignorer, et qui a jusqu’ici faussé leurs régulières prédictions sur « la désintégration de la confrérie mouride » (Paul Marty), c’est que la constante de base du Mouridisme n’est point la relation marabout-talibé classique sur laquelle s’est arc-boutée une grande partie de leur recherche. Mais elle s’articule plus, à notre avis (et sans renier son importance), sur la valeur intrinsèque de Cheikh A. Bamba lui-même, sur son extraordinaire charisme et sur la valeur spirituelle et sociale de ses enseignements et de son œuvre. Car, bien que les rapports marabout-disciple aient souvent évolué dans le temps et l’espace, et dussent-ils même se métamorphoser radicalement dans le futur, le Mouridisme, en tant que projet de renaissance de l’Islam, pourrait vraisemblablement revêtir, selon nous, d’autres formes sociales convenant mieux à son objet et à ce contexte. En fait ces auteurs n’ont jusqu’ici pas compris que, dans le Mouridisme et pour les mourides, Serigne Touba est au fond LA SEULE VERITABLE CONSTANTE de leur projet de société pour l’Islam. Et que tout le reste n’est, en définitive, qu’un ensemble de variables assujetties à cette constante unique. Car tout jëwriñ (représentant) ou Objet de Khidma intermédiaire peut bien être remplacé un jour par d’autres jëwriñ, sans que la base du système soit fondamentalement remise en cause… » (« KHIDMA : La Vision Politique de Cheikh A. Bamba (Essai sur les Relations entre les Mourides et le Pouvoir Politique au Sénégal) », Editions Majalis, 2010, p. 352)
Tout ceci pour simplement dire que ce sera à nous les mourides, dignitaires intègres et disciples clairvoyants, de résoudre nous-mêmes ce problème des manipulations et des récupérations internes. Nul autre ne le fera à notre place. Et nous en sommes bien capables. Car ceux qui nous « vendent » actuellement au mieux-disant politique, ne sont ni plus représentatifs, ni plus intelligents, ni plus déterminés que nous. Même s'ils pourront utiliser certaines « armes non conventionnelles » que nos principes nous interdisent d'utiliser. Il faudra désormais être prêt à leur faire face, à ne plus leur laisser si facilement le terrain et à prendre les risques et sacrifices que cette défense de notre patrimoine requiert. Quoi qu'il en coûte.
Et pour réaffirmer notre détermination absolue à ne plus laisser les politiciens, sans foi(e) ni loi, croire qu'ils peuvent acheter des faux Ndigël contre quelques centaines de millions remis à leurs chevaux de Troie, nous aurons bientôt une occasion idéale de le faire. En les envoyant tous ensemble sur les cordes politico-religieuses, lors du référendum de dimanche prochain, et en les assommant avec un NON retentissant qui résonnera encore bien longtemps dans leurs oreilles pétrifiées d'effroi.
Si jamais nous manquons de le faire, alors qu'aucun mouride ne se plaigne dans l'avenir sur d'autres atteintes à nos valeurs que les politiciens et leurs complices enturbannés, enhardis par cette victoire, ne se gêneront pas de commettre encore et encore contre l'héritage de Serigne Touba.
« Mbédioum kanamou Yoonou mouride, mourides yi nioo ko wara fadial seen bopp. »
Tout autre discours n'est que diversion et pure démagogie.
15Mar2016