Cet extraordinaire récit a été raconté par Cheikh Saliou Mbacké à Cheikh Abdallah Fahmi, disciple et brillant chercheur mouride d’origine tunisienne, avec qui le cinquième Calife des mourides avait l’habitude de discuter sur un grand nombre de sujets.
« Lors de son second exil en Mauritanie (1903-1907), Cheikh A. Bamba discutait un jour avec un groupe de savants maures (juristes et théologiens), sur certains points de la religion, comme il en avait l'habitude. Au cours de la séance, survint au loin un homme très âgé, dont l'apparition provoqua l’étonnement de tous.
En effet, cet homme était très connu en Mauritanie, en tant que gardien du mausolée de Cheikh Sidy Mukhtar Kountiyou, son maître, et celui de son fils Muhammad Khalifa. L'étonnement des maures était dû au fait que nul ne l’avait jamais vu quitter le mausolée de son maître. Un mausolée, de surcroît, situé [dans l'Azawad] à des centaines de kilomètres du lieu de campement de Cheikh Ahmadou Bamba. [Ce qui accentuait la surprise des membres de l’assemblée.]
Une fois sur place, le vieil homme salua les membres de l’assemblée qui lui rendirent son salut avec beaucoup de déférence. Un respect du surtout à la réputation de sainteté de cet homme qui faisait que beaucoup de gens venaient d’un peu partout, même des pays voisins, pour solliciter ses bénédictions...
Après avoir salué l'assistance, il s’adressa directement à Cheikh Ahmadou Bamba en ces termes : « Je prends toutes ces personnes ici présentes à témoin que je n’ai jamais quitté le mausolée de Cheikh Sidy Mukhtar depuis qu’il a quitté ce monde matériel. Si aujourd’hui j’ai dérogé à cette règle et suis venu jusqu’ici c’est parce je sais que, sur la face de cette terre, s’il y a quelqu’un qui peut satisfaire ma requête, c’est bien toi... »
Serigne Touba de lui répondre : « Pour l'honneur que tu m'as fait de venir jusqu’ici, je satisferai ta requête quelle qu’elle soit. Demande-moi donc ce que tu veux, et j'implorerai Dieu de la satisfaire… »
Ce à quoi le vieil homme lui dit : « Mon cœur brûle d’amour et de nostalgie pour mon maître disparu, Cheikh Sidy Mukhtar. Ce sentiment me consume littéralement de l’intérieur et je n’ai qu’un seul désir au monde : le revoir ! ».
Le Cheikh, qui était ému, ainsi que toute l’assistance, par la puissance de ce sentiment d’amour, lui dit aussitôt : « Assied-toi là, à côté de moi, et reste concentré…».
Puis il tendit son bras, en élargissant la fente de son boubou et y fit entrer la tête du vieux disciple. L’assistance put ainsi entendre, avec grand étonnement, l’homme, ainsi blotti sous le bras du Cheikh, converser pendant un long moment avec un interlocuteur [qu'ils ne voyaient pas]. On l’entendit ainsi alterner longuement rires et pleurs durant sa conversation, jusqu’à ce qu’il sortit enfin sa tête du boubou...
Une grande émotion et une joie indescriptible se lisaient sur son visage. Il exprima vivement sa gratitude envers Cheikh A. Bamba en wolof : « Dieuredieuf ! Dieuredieuf ! Dieuredieuf !».
Il se leva aussitôt après et repartit à pied, aussi étrangement qu’il était apparu… »
Quand Serigne Saliou finit de raconter ce prodigieux récit à Abdallah Fahmi, il lui demanda, en guise de moralité pour cette histoire : « Sais-tu la chose la plus extraordinaire dans cette histoire ? » Fahmi de lui répondre : « Pas vraiment. Veuillez me le dire, car je suis là pour apprendre…»
Cheikh Saliou lui dit : « Ce vieux disciple connaissait parfaitement les faveurs divines exceptionnelles que détenait Cheikh A. Bamba. Il ne nourrissait non plus aucun doute sur la place privilégiée que celui-ci occupait auprès du Seigneur, dans le monde d'ici-bas et dans l’au-delà. [Comme l’atteste la nature exceptionnelle de sa requête auprès du Cheikh.]
Toutefois, malgré cette conviction profonde, ce disciple n’a sollicité auprès de Serigne Touba qu’une seule chose : revoir son Maître. Et une fois qu’il a obtenu cette faveur, il est aussitôt reparti tel qu'il était venu [pour aller retrouver son Maître]. C’était parce que son cœur, rempli de l’Amour infini pour son Maître, était saturé et n’avait plus de place pour qui que ce soit d’autre [aussi exceptionnel soit-il].
C’est cela le « MOURIDE SÂDIKH »… », conclut Serigne Saliou.
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