Ces passages sont extraits du recueil « Silkul Jawâhir » (Le Cordon de Joyaux Précieux) écrit par Cheikh A. Bamba durant sa jeunesse. L'ouvrage, dont la première partie, d'où ces extraits sont tirés, traite du Bas-monde et de ses pièges, est une suite de récits hagiographiques, de sentences des Anciens, d'exhortations et de sagesses profondes indispensables à la formation religieuse, morale et spirituelle de tout musulman.
« Ô mon frère en Dieu, sache que le repos [que tu recherches] dans ce monde dure très peu de temps. Et que l'essentiel de ce temps sera troublé par les peines et les épreuves.
Sache également que ce repos temporaire ici-bas entraînera la perte du repos éternel de l'Au-delà. Repos qui, au contraire de celui-ci, constituera un règne sans fin. Par conséquent, il devrait être aisé pour tout homme intelligent de faire preuve de patience, durant ce bref séjour terrestre, afin d'obtenir, en échange, un repos perpétuel dans l'autre Monde.
Notre maître Al-Ghazali - que Dieu soit satisfait de lui - a maintes fois explicité, à travers un grand nombre d'illustrations, la véritable nature de ce Bas-monde. Il en est ces propos rapportés du Messager de Dieu - la Paix et le Salut soient sur lui - dans lesquels le Prophète nous avertit sur le pouvoir de fascination et d'envoûtement du Bas-monde :
« Méfiez-vous de ce Bas-monde ! Il est plus aguicheur et plus sournois que [les deux anges tentateurs] Hârût et Mârût. Sa première ruse contre toi consistera à te faire croire qu'il est en ta faveur et le restera pour toujours. Les ferventes assurances qu'il te présentera te menant souvent à croire en sa sincérité. Alors qu'en réalité, il dissimule sa fourberie et n'hésitera nullement à te trahir à la première occasion. Car il te dirigera, progressivement, inexorablement, sans que tu aies le temps de le réaliser, à ta perle éternelle. Le Bas-monde peut être ainsi assimilé à l'ombre qui, bien que te paraissant invariant, s'évanouit pourtant lentement [à l'apparition de la lumière]. Ainsi en est-il de la vie de tout être humain : elle s'écoule lentement, se dissipant à chaque instant. La vie de ce monde, de la sorte, te fait constamment ses adieux, s'enfuyant toujours devant toi, pendant que toi, tu persistes malheureusement dans ta négligence et dans ton inconscience. »
Parmi les astuces que la vie de ce monde utilise pour t'ensorceler, sa manière de t'exprimer son amour infini afin que, toi aussi, tu l'aimes passionnément. Elle te persuadera ainsi de sa fidélité sans faille et te fera croire que, jamais au grand jamais, elle ne te quittera pour un autre. Ce n'est que par la suite qu'elle te révèlera brutalement, sans que tu t'y attendes, sa perfidie et son vrai visage. En devenant soudain ton pire ennemi. A l'instar d'une femme perverse qui, en mante religieuse, trompe tous ses amants, les invite un à un chez elle pour les assassiner sans pitié.
Le Prophète Issa - Paix sur lui - eut, en ce sens, une révélation à travers laquelle le Bas-monde lui fut matérialisé sous la forme d'une vieille femme. Lorsque Seydinâ Issa lui demanda : « Combien d'époux as-tu eu jusqu'ici ? », elle lui répondit : « L'on ne peut les compter, car étant trop nombreux ». Issa - Paix sur lui - de lui demander alors : « Ces époux sont-ils tous morts ou bien t-ont-ils répudiée ? ». Ce à quoi la vieille lui répondit : « Pas du tout ! C'est moi plutôt qui les ai tous assassinés ! » Le Prophète Issa - Paix sur lui - de s'exclamer : « Hélas ! Malheur à ces nombreux sots qui, bien qu'étant témoins de tes crimes odieux sur leurs innombrables prédécesseurs, persistent encore à t'aimer avec passion ! »
Fait également partie du funeste pouvoir de mystification de ce Bas-monde, sa capacité à embellir son apparence extérieure, à travers différents artifices et astuces. Tout en dissimulant soigneusement ses trahisons et ses nombreuses vilénies, sous ses étincelants apparats. Ceci, pour mieux tromper l'ignorant et le séduire par la beauté extérieure qu'il lui manifeste. Il peut ainsi, en cela, être assimilé à une vieille femme, difforme et fort repoussante, qui dissimule son visage disgracieux sous un voile, qui porte de magnifiques habits et se pare d'un maquillage factice afin de charmer ceux qui l'aperçoivent de loin. Le jour où ses malheureux prétendants ôteront son voile et ses faux atours, et qu'ils découvriront tardivement la supercherie, ils regretteront amèrement de l'avoir aimée, du fait de sa laideur sans nom et des hideuses abjections dont elle est entachée...
Il a été ainsi rapporté que le Jour du Jugement Dernier, l'on exposera le Bas-monde sous la forme d'une vieille femme immonde et monstrueuse, l'oeil atone et purulent, le visage revêche, la bouche béante, dévoilant des dents affreuses. Lorsque les humains la verront, ils invoqueront Dieu, en s'interrogeant : « Qui peut bien être cette femme si hideuse ? ». Il leur sera alors répondu : « Cette femme si hideuse est le Bas-monde pour lequel vous vous jalousiez si férocement les uns les autres. Cette femme si dégoutante est le Bas-monde pour lequel vous vous combattiez et vous entretuiez si impitoyablement. Cette femme si affreuse est le Bas-monde pour lequel vous n'hésitiez pas à repousser vos proches et qui vous a leurrés avec ses parures ». Lorsqu'on donnera, par la suite, l'ordre de jeter le Bas-monde en enfer, il s'exclamera alors : « O Seigneur ! Pourquoi m'y jeter toute seule ? Où sont donc mes anciens amants, mes admirateurs et mes compagnons ? ». Il sera alors ordonné de jeter ces derniers, en sa compagnie, dans la Géhenne...
Abû Hurayra - Dieu soit satisfait de lui - a rapporté les propos de l'Envoyé de Dieu - Paix et salut sur lui - où il lui demande : « Ô Abû Hurayra, veux-tu que je te montre [la véritable nature de] ce Bas-monde ? » « Certes oui, ô Envoyé de Dieu ! », répondis-je. Il me prit alors par la main, m'entraina au loin et s'arrêta finalement devant un cloaque fangeux où des crânes humains, provenant de cadavres abandonnés, étaient mélangés à des restes d'os brisés et aux souillures d'excréments. Le Prophète - Paix et salut sur lui - me dit : « O Abu Hurayra ! Observe bien ceci ! Ces crânes humains que tu vois ici étaient exactement, dans le passé, comme les vôtres. C'est-à-dire remplis de désirs, âpres à la thésaurisation des biens de ce Bas-monde. Ces crânes comptaient, comme vous le faites exactement aujourd'hui, sur une longue vie et sur les délices de ce Bas-monde. Aujourd'hui, ils sont devenus d'humbles ossements blanchis, avec leurs corps en état de putréfaction. Ces restes de guenilles que tu vois ici étaient les vêtements fastueux que [ces cranes] portaient lors des cérémonies et des jours de fête. En ce jour, le vent les a jetés et mélangés aux souillures. Ces ossements d'os brisés que tu vois devant toi étaient les montures sur lesquelles ils parcouraient fièrement les quatre coins du monde. Quant à ces excréments que tu vois, c'est tout ce qui reste des aliments délicieux pour lesquels ils s'échinaient, rusaient et que les uns usurpaient aux autres. Aujourd'hui leurs corps, devenus puants et répugnants, ont été jetés ici au loin. Et nul [d'entre leurs anciens compagnons] ne veut plus les approcher, du fait de leur puanteur. Voilà [ô Abu Hurayra] la véritable nature de ce Bas-monde, comme tu le vois ici de tes propres yeux. Quiconque veut pleurer sur ce monde, n'a donc qu'à pleurer. Car c'est ici le lieu et le moment de le pleurer.. ».
Abù Hurayra - Dieu soit satisfait de lui - de terminer : « Tous les hommes qui étaient présents en ce moment-là se mirent alors à pleurer... »
[Traduction originale en français par S. Sam Mbaye (Editions Culture Universelle) reprise et adaptée par Majalis]
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