Un Petit Rappel Historique
Le samedi 18 Safar 1313, ( le 10 août 1895) à 14h, Le Cheikh Ahmadou Bamba est arrêté à Djéwal (actuelle région de Louga) par un détachement des autorités coloniales françaises. Il est exilé après un procès inéquitable, tenu dans la salle de délibération du Conseil Privé, sis dans la Gouvernance de Saint-Louis le 05 septembre. A l’issue de ce jugement sans appel, le Conseil Privé décida « à l’unanimité, après avoir entendu les rapports de M. MERLIN et LECLERC, et fait comparaître Ahmadou Bamba, qu’il y avait lieu de l’exiler au Gabon ». A quelle fin ? « Jusqu’à ce que » disait-il « l’agitation causée par ses enseignements soit oubliée au Sénégal ». (Sources : rapport du Conseil Privé, août 1895).
L’exil au Gabon durera SEPT longues années.
C’est cette date du 18 Safar que Khadimou Rassol a choisie comme jour d’actions de grâce et de fête.
Rares, sont ceux qui ont choisi le jour où toutes leurs épreuves et privations ont commencé pour célébrer une fête et remercier le TOUT PUISSANT.
Selon Cheikh Abdoul Ahad Mbacke (3è Khalif des Mourides), c’est en 1921 à Diourbel que le Cheikh lança son célèbre appel:
« Quant au Bienfait que DIEU m’a accordé, ma seule et souveraine Gratitude ne le couvre plus, par conséquent j’invite toute personne qui se réjouit de mon bonheur personnel, à s’unir à moi dans la reconnaissance éternelle à DIEU, chaque fois que l’anniversaire de ce jour la trouve sur terre ».
En 1980, Cheikh Abdoul Ahad dans son appel pour le Grand Magal, cite les écrits du Cheikh pour étaler l’étendue des bienfaits reçus de Dieu :
« DIEU m’a accordé des dons prodigieux qu’il n’a jamais accordés et qu’il n’accordera jamais à un contingent. »
« Je ne doute guère de ma qualité de voisin intime du CREATEUR DE L’UNIVERS ; quel magnifique état ! »
« Les faveurs extraordinaires, innombrables que j’ai obtenues de DIEU ne se comptent plus dans l’univers et c’est cela, mon bonheur. »
Chacun selon ses moyens ( de la poule au chameau) est invité à célébrer ce jour 18 Safar chaque fois qu’il en a l’occasion. C’est une forte recommandation de Cheikh Ahmadou Bamba que tous les Khalifs rappellent à la veille du Magal.
Sur la signification du mot « Magal », Cheikh Saliou Mbacké 5ème khalif de Sérigne Touba,
à l’occasion de son appel du 25 août 1990, nous édifie clairement. Il affirme en substance Que la Fête du sacrifice étant une Tradition Prophétique, l’appellation "deuxième fête du sacrifice" que les talibés avaient adopté ressemblerait donc à une innovation blâmable (« Bidaa »). C’est pourquoi le Cheikh recommanda de l’appeler "MAGAL" (MAGAL : Terme Wolof qui signifie ici célébrer, évidemment dans l’exaltation de la Grandeur du SEIGNEUR et l’Election du Prophète. C’est autrement dit glorifier le SEIGNEUR et Son PROPHETE) ; Donc que personne ne l’appelle plus "deuxième Fête du Sacrifice" mais « Magal » C’est le Cheikh qui est le premier à prononcer ce mot que nous nous employons tous aujourd’hui.
Le Magal était célébré individuellement par chaque talibé chez lui comme la Tabaski. Cela a été ainsi du temps du Cheikh et pendant le règne du premier Khalif Cheikh Mouhamadou Moustapha (1927 - 1945). On peut penser que le premier Khalif n’a pas appelé à la célébration du Magal à Touba, peut être uniquement parce que la majeure partie de son Khilafat a coïncidé avec la crise des années trente ainsi que la seconde guerre mondiale; Il était en outre préoccupé, par le plus important projet mouride : la grande Mosquée de Touba, qui nécessitait le prolongement du chemin de fer de Diourbel à Touba. Sérigne Mouhamadou Moustapha réalisa le tronçon Diourbel- Touba sur fonds propres et facilita le transport des matériaux de construction.
Il choisit le 20 du mois lunaire mouharram qui marque le retour à Dieu du Cheikh pour le grand rassemblement annuel des mourides.
C’est le deuxième Khalif des mourides Cheikh Mouhamadoul Fadel Mbacke qui appela tous les fidèles mourides à venir à Touba pour célébrer le Grand Magal en 1948. Le Grand rassemblement à Touba a permis au deuxième Khalif de profiter de ce jour d’actions de grâce pour mobiliser et motiver annuellement les talibés pour l’achèvement du Grand Projet de la communauté, la Grande Mosquée de Touba. Le khalif célébra avec faste la prière d’inauguration de la Mosquée en 1963.
Comme on le voit le Magal a revêtu depuis le début plusieurs dimensions. Et aujourd’hui il serait prétentieux de vouloir lister « toutes les dimensions du Magal » comme semble le suggérer le titre de mon article. Mon but est donc d’en citer certaines importantes, mais ce Grand rassemblement n’a pas fini de nous réserver toujours et encore de nouvelles facettes.
La Dimension Spirituelle
L’Objectif premier du Magal est spirituel. C’est donc cette dimension qui doit être mise en avant. Le Magal c’est rendre grâce à Dieu pour les Bienfaits immenses qu’Il a accordés à notre Cheikh par, d’abord la lecture du Coran, des Khassaids et l’accomplissement de toutes autres activités spirituelles conformes à la Tradition Prophétique (Sunna). Tous les khalifs ont toujours insisté sur la lecture du Saint Coran avant et après le Magal. Cheikh Saliou recommandait aux talibés de lire trois(3) fois le Coran avant le jour J ou de le faire lire. Le nouveau Khalif, Cheikh Sidy Moukhtar Mbacke vient de renouveler cette recommandation.
Le Magal doit aussi être un jour d’introspection spirituel pour chaque mouride. Faire le point sur sa qualité de talibé du Cheikh El Khadim; s’interroger sur ce qui doit être le comportement d’un bon mouride, sur son engagement dans les recommandations du Cheikh; sur ses actions en faveur de l’islam etc.…
La Dimension Festive
Comme le disait Cheikh Saliou Mbacke, le Magal c’est le « Berndèèl ». La qualité et la quantité des aliments et collations etc.… doivent permettre à chacun de sentir que le Magal c’est la meilleure fête qui puisse exister. Donner à manger est un acte fortement recommandé par l’Islam.
Sur ce plan il faut reconnaître que les talibés ont toujours fourni des efforts immenses pour rendre la fête belle. Dans presque toutes les familles ainsi qu’au sein des Dahiras, des bœufs, moutons et mêmes des chameaux sont immolés pour l’occasion. Une quantité astronomique de boissons, de gâteaux et de toutes sortes de mets sont offertes aux musulmans à Touba durant le Magal. Certains talibés reviennent de Touba chargés de produits alimentaires qu’ils offrent comme « Barkèlu » aux gens qui n’ont pas pu se rendre au Magal.
La Dimension Sociale
Le Magal offre, à beaucoup de familles l’occasion unique de se retrouver. C’est ainsi beaucoup de personnes profitent du Magal pour organiser leur rencontre annuelle de famille. L’événement est donc un important facteur de renforcement de liens familiaux pour des gens de plus en plus dispersés dans le monde entier avec le phénomène de l’émigration.
C’est le lieu de magnifier ici le rôle important que le Magal joue dans le brassage ethnique entre les talibés. Si, contrairement à beaucoup d’autres pays africains, le Sénégal connaît très peu de conflits ethniques, c’est grâce également à de tels évènements qui regroupent des millions de personnes d’ethnies, de races, de conditions sociales différentes pour un même but : rendre grâce à Dieu et célébrer l’œuvre de Cheikh El Khadim. Sous cet angle, le Magal participe au renforcement de la cohésion sociale du pays.
On peut aussi dire que la paix et l’harmonie entre les confréries islamiques du pays sont favorisées par l’événement. Beaucoup de mouride aiment à inviter leurs amis et collègues des autres confréries (Tidiane, Khadres, Layene etc…). Ces derniers leur rendent bien l’appareil lors des Gamous et autres manifestations religieuses.
La Dimension Culturelle
L’animation culturelle avant, pendant et après le Magal par des Conférences, débats, séminaires, chants religieux, etc.… à Touba, dans les médias, sur Internet…participe à l’éducation des talibés pour mieux s’imprégner des enseignements du Cheikh et à la diffusion du message universel de celui ci.
Dans ce domaine, il faut saluer les initiatives, depuis quelques années du comité d’organisation du Magal qui visent à créer des évènements pré-Magal de manière décentralisée à Dakar, Saint-Louis, Paris etc.… de même que l'excellent travail de Rawdu Rayahin sur les médias pendant la période du Magal et le jour même avec une rencontre débat entre tous les représentants de toutes les communautés musulmanes du Sénégal et d’autres pays.
La Dimension Economique
La dimension économique du Magal est l’une des plus évidentes. Même si certains esprits tentent d’avancer que pendant cet événement le reste du pays est paralysé.
C’est méconnaître le rôle important que le Magal joue dans l’économie du Sénégal.
En effet pour certaines entreprises l’événement est même vital car le Magal peut représenter jusqu’à 60% de leurs chiffres d’affaires annuels.
Pour les entreprises de construction et les ouvriers du bâtiment, le Magal est une vraie aubaine. Plusieurs semaines avant le jour J, il est quasi impossible de trouver des ouvriers si on veut faire des travaux dans sa maison à Touba. Certains doivent même en amener d’autres villes du pays. Le Magal est donc un créateur d’emplois formidables.
C’est le secteur du Commerce qui, sans doute se taille la part du lion dans cette tentative d’analyse des retombées du Grand Magal. En effet pendant plusieurs semaines Touba se transforme en grand souk. Presque tout se vend comme de petits pains pour un marché immense de près de 4 millions de clients potentiels.
Beaucoup d’Industries du Sénégal connaissent leur meilleure période de vente pendant le Magal. Les usines pour la fabrication de nattes, d’ustensiles de cuisine, de glace, de matelas, d’eau minérale etc.…) ne parviennent pas en général à satisfaire la demande.
L’Agriculture, l’Elevage, l’Aviculture sont également très florissants avec le Magal. La consommation de couscous sénégalais, donc du mil est à son plus haut niveau. Les sociétés avicoles préparent des bandes de poussins chair spécialement pour le Magal tellement la demande est forte. Pour les éleveurs l’événement constitue leur période de traite. Les meilleures têtes de leurs troupeaux sont réservées à la vente à Touba car les mourides ont l’habitude d’acheter de gros bœufs pour le Magal « Nagu Magal ».
Le secteur des Télécoms n’est pas en reste. Même en temps normal, Touba est la deuxième ville, après Dakar en termes de nombre de lignes téléphoniques et d’appels entrants ou sortants pour tous les opérateurs. Durant le Magal Touba devient numéro 1 au Sénégal et certainement en Afrique pour le nombre d’appels de ou vers la Ville Sainte.
Notons que le Magal constitue également un moment où se rencontrent beaucoup d’hommes d’affaires pour nouer des partenariats divers. Certainement de nouvelles entreprises naissent de ces rencontres d’affaires durant le Magal.
La Dimension internationale
C’est la période du Magal que choisissent en général les mourides de la diaspora pour venir au pays célébrer la fête et séjourner dans leurs familles.
C’est ainsi que, outre les vols réguliers vers le Sénégal, des vols spéciaux sont chaque année affrétés pour les besoins du Magal. Dans les aéroports de Madrid, Rome, Paris, New York etc.…même les occidentaux qui ne connaissent rien du Magal sentent que quelque chose se passe quelque part en Afrique à cause du nombre inhabituel de monde qui embarque vers le Sénégal.
On raconte que les talibés commencent à célébrer le Magal dans le ciel avec les avions spéciaux qui les amènent vers le Sénégal par la lecture du Coran et la distribution de « Café Touba ».
Les compagnies aériennes en arrivent aujourd’hui à appliquer des tarifs promotionnels pour le Magal.
Des occidentaux, de plus en plus nombreux se retrouvent à Touba lors du Magal. Si certains ne viennent que par curiosité, d’autres par contre sont là par conviction religieuse et attachement aux enseignements du Cheikh Ahmadou Bamba. Ces « descendants » de ceux qui avaient prononcé le jugement de 1895 : « … qu’il y avait lieu de l’exiler au Gabon », « Jusqu’à ce que L’agitation causée par ses enseignements soit oubliée au Sénégal », eh bien, eux aussi ils participent à maintenir vivace « L’agitation causée par les enseignements du Cheikh ».
Il faut souligner que de mourides de l’extérieur qui ne peuvent pas venir à Touba célèbrent le Magal dans les nombreuses « Keur Serigne Touba » de leurs pays d’accueil, en compagnie de beaucoup de musulmans sénégalais d’autres confréries ou des musulmans d’autres nationalités.
Il faut aussi noter caractère international du Magal par la présence à Touba de nombreuses délégations de pays musulmans, représentés en général par leurs ambassadeurs. Certains pays frontaliers du Sénégal comme la Gambie et la Mauritanie sont représentés à la fois par des officiels et par des Oulémas. Nul doute que Le Magal constitue un évènement qui contribue au succès de la politique diplomatique du Sénégal.
Quelles perspectives pour le Magal ?
Dans l’avenir il faudra peut être penser à mieux formaliser les retombées économiques du Magal sur la ville sainte de Touba.
Pourquoi ne pas développer des projets d’investissement avec des appels de fonds organisés lors du Magal ? Chaque visiteur donnerait volontairement, à l’entrée de la ville sainte par exemple une somme symbolique de 500 F. Sur une hypothèse de 3 millions de personnes, cela donnerait 1 500 000 000 F chaque année. Cette somme pourrait être investie dans des projets identifiés à l’avance tels que la réalisation de voirie à Touba, la construction de centres culturels islamiques, une bibliothèque dans un quartier donné de la ville ou l’édification d’hôpitaux, de Daaras islamiques modernes, et même la création d’une société de nettoiement dans la ville sainte ou la constitution d’un fonds d’aide à l’informatisation des structures de la ville y compris un portail web officiel du Mouridisme. On peut aussi mobiliser une partie de ces fonds pour la création d’un Grand prix du Khalif général pour la création littéraire et culturelle islamique etc.…
Pour garantir le succès de telles initiatives, la gestion de ces fonds provenant de ces contributions devrait être transparente et les projets réalisés devront être concrets et visibles.
Nul doute que si ces conditions de bonne gouvernance sont réalisées la grande majorité des fidèles mourides seront tout heureux de participer à l’initiative en dépassant sûrement et largement le montant symbolique fixé.
Il est clair que l’hébergement des hôtes va de plus en plus être difficile vu le nombre croissant des visiteurs. A l’image de ce qui se fait à la Mecque et à Médine, des privés pourraient bâtir des buildings et/ou hôtels pour les louer à certains hôtes durant le Magal.
Le comité d’organisation doit être félicité pour l’heureuse initiative prise depuis deux ans d’organiser des conférences, symposiums, colloques etc.… à Dakar, Paris, Kaolack, Saint-Louis…avant le GRAND JOUR. Cette nouvelle politique de décentralisation devrait également être mise en œuvre à Touba même avec des évènements culturels(conférences, débats, animations virtuelles etc.…) dans tous les quartiers de la Ville sainte.
La large diffusion du Magal sur Internet doit aussi être une priorité dans l’avenir en insistant sur l’utilisation de l’Anglais comme langue de support de communication.
A l’image de ce que font aujourd’hui certaines sociétés, surtout les compagnies de telecom, l’image du Magal devrait être plus et mieux utiliser par des initiatives privées pour promouvoir le développement de produits de merchandising sur le Magal et le Mouridisme (porte clé, stylos, représentation de la Mosquée, « petites boîtes à images de Touba» etc.…) comme cadeaux souvenir pour les visiteurs mourides ou non
Conclusion
Il est difficile voire impossible de faire le tour des multiples dimensions du Magal de TOUBA, le deuxième grand rassemblement de l’islam après le pèlerinage à la Mecque.
Telle n’était point notre ambition. Notre objectif était de susciter des réflexions et des débats sur des aspects d’intérêt communs à tous et qui pourraient être tirés du Grand Magal. Je vous invite donc à cette entreprise car le Magal nous réserve encore des dimensions insoupçonnées.
Cheikh Fatma Mbacke,
Ingénieur informaticien,
Imam à la Mosquée de
Serigne Moustapha Bassirou Mbacke, Au Golf Nord Hamo